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CHAMBRES RÉUNIES


fait de meilleur choix. Il n’y avait pas de magistrat plus intègre ni de plus versé dans la science du droit ; une mémoire prodigieuse où tout restait gravé, jusqu’aux dates des moindres arrêts ; un grand bon sens, ce qui est rare chez tout le monde et, surtout, chez les jurisconsultes, trop souvent esclaves des textes et qui, à couper les cheveux en quatre, ont détérioré leur judiciaire ; beaucoup de pénétration, de la sagesse, mais sans affectation d’aucune sorte, et de la bonté, mais qui ne s’étalait pas ; des mœurs très simples, nulle soif des honneurs, qui lui étaient venus sans intrigue, ni des richesses ; la vie la plus discrète, avec sa vieille mère, loin du monde et de la politique, le goût de la méditation et un fonds solide de religion vraie. Le dehors donnait l’impression de l’homme qu’il était, la taille haute et droite, une corpulence de bourgeois bien nourri, la face ronde et glabre, avec une physionomie qui était toute esprit, réflexion, bonne grâce et finesse, la parole facile, pondérée, exacte, traversée parfois d’émotion.

Il n’aurait pas recherché le rapport qui allait faire de lui un personnage historique ; il l’accepta comme un devoir de sa charge. Déjà troublé par tant d’indices d’une erreur judiciaire, il se mit à l’étude du dossier avec le seul souci de la vérité, comme il faisait pour toutes les affaires, qu’il s’agît de millions ou d’un mur mitoyen.

Les conseillers des Chambres civiles entreprirent en même temps que lui l’étude de l’enquête. Plusieurs étaient déjà acquis à la revision ; d’autres encore hostiles, malgré l’infamie avérée d’Esterhazy et le faux d’Henry, — « un incident », disait alors l’un d’eux qui fut, plus tard, des plus ardents pour Dreyfus ; — hypnotisés devant le dossier secret et le verdict des sept