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fuir[1] » ; il s’est réfugié dans sa correction comme dans une tanière, « bête traquée qui a peur et se rase[2] ». — Cette attitude si militaire, qui eût dû toucher surtout les militaires, les irrita, au contraire, comme un reproche ou une leçon ; Chamoin, le délégué de Galliffet, ne raisonna pas autrement que les camarades : « Il n’a pas su émouvoir ; le cœur n’a pas parlé… Il nie tout, les faits principaux et les faits accessoires[3] », comme si, les faits accessoires étant aussi faux que les principaux, il n’était pas obligé de tout démentir sous peine de mensonge. — Enfin, le gros du public et beaucoup de ses meilleurs partisans, qui n’étaient pas moins infectés de romantisme, eussent voulu que ce spectre qui revenait de la mort, ce Lazare ressuscité, « dans son linceul à galons d’or tout neufs », leur donnât le frisson, ou le régal, d’une scène de mélodrame ; qu’avant de répondre à ses juges, il maudît ses bourreaux ; au moins « qu’il se laissât aller, laissât crever son cœur gonflé de tant de misères », se vidât dans une crise de sanglots et de reproches qui eût caressé « les sentimentalités à fleur de peau » et les haines, et fait partir les applaudissements[4], Ils voyaient sans doute ou, plutôt, ils entrevoyaient que, s’il avait été ce révolté banal et ce genre de victime, il fût mort depuis

  1. Gaulois, Petit Journal et Intransigeant du 8 août 1899 ; Écho : « Et lui niait, niait, niait… »
  2. Barrès, 143. — Millevoye (Patrie du 8) et Maurras (Gazette de France du 9) faussèrent le compte rendu des débats, prêtèrent à Dreyfus des réponses qu’il n’avait pas faites. Quand cela fut relevé, ils alléguèrent de mauvaises transmissions télégraphiques.
  3. Rapport du 7.
  4. Séverine, 366. — Cornély : « Je sens qu’à sa place je m’emporterais, je cracherais sur mes accusateurs et sur mes bourreaux toute ma rage et toute leur infamie, moyennant quoi la presse nationaliste m’accuserait d’être un cabotin. »