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CHAPITRE IV

RENNES

I

Le premier procès de Dreyfus avait été jugé en trois jours ; le second va durer cinq semaines, vingt-neuf audiences (7 août-9 septembre).

Il y eut à Rennes, pendant tout ce mois, comme deux villes : la bretonne, retournée, en apparence, à son calme habituel, avertie par les grandes mesures d’ordre qu’avait prises le gouvernement, mais où l’hostilité persistait, se lisait partout, aux visages contractés, aux regards obliques, au dur silence de tout ce qui était indigène ; et une ville nouvelle, venue du dehors, parisienne et cosmopolite, aussi bruyante que l’autre était taciturne, où les passions éclataient et fumaient dans un dernier incendie. Chaque matin, au petit jour, dans la température déjà brûlante, cette autre Rennes se vida à la salle du conseil de guerre, y déversa ses troupes ennemies de témoins, de journalistes, d’amateurs d’émotion, qui se défiaient, se mesuraient du regard ou du geste, puis continuaient jusqu’au soir, dans les cafés et dans les rues, le combat judiciaire.