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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


enfermât le conseil de guerre. Ils avaient entrepris en conséquence de retourner contre les revisionnistes ce qu’il y avait de meilleur en eux : la volonté de terminer leur grande œuvre « en beauté », leur confiance dans l’absolue bonté de leur cause. Tous les jours, Drumont, Judet, les pères de la Croix, les piquaient par l’accusation qu’ils redoutaient de voir pénétrer la lumière dans toute la vie de Dreyfus, qu’ils voulaient le faire acquitter par un subterfuge, mettre l’éteignoir sur la lumière. Et, de même, le comité de la Patrie française[1] et aussi Méline, pour qui le silence, après son propre rôle et celui de Billot dans les procès d’Esterhazy et de Zola, eût été de la pudeur. Au contraire, il réunit ses amis dans un banquet, les harangua longuement. : « Ce cabinet qu’on a pu appeler le ministère de l’Affaire », « ces disgrâces de magistrats » pour le seul tort de ne pas croire Dreyfus innocent, les mesures contre Hartschmidt et Saxcé, sont déjà « une véritable menace contre l’indépendance des juges », autant de tentatives d’intimidation ; « le gouvernement ne doit intervenir en rien dans la procédure[2] ».

Les défenseurs de Dreyfus, au lieu de renvoyer à leur passé ces Tartufes soudains de la justice, ne surent pas commander à leurs nerfs.

Le soir même où parurent les instructions de Carrière, Clemenceau tomba au piège, écrivit dans un même article[3] que, sans doute, « le conseil de guerre, saisi

  1. Manifeste du Comité de la Ligue, 12 juillet 1899.
  2. Discours du 6 juillet au banquet des républicains progressistes.
  3. Aurore du 21. — La Libre Parole du 22 reproduisit l’article (sous ce titre : « La gaffe de M. Clemenceau »), l’opposa à « la mesure d’étouffement du trio Waldeck-Millerand-Galliffet » qui « s’était strictement conformé aux injonctions de Boule-de-