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LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


dans des réquisitions écrites, de conclure contre lui dans des réquisitions verbales ; un tel scandale, mais légal, loin de profiter à l’innocent, le desservira ; les juges se prétendront ou se croiront invités à acquitter par ordre ; il ne faut pas seulement respecter l’indépendance de ces soldats susceptibles et prévenus, mais éviter jusqu’à l’apparence d’y porter atteinte ; ainsi mis en confiance, étonnés et surpris de ne pas recevoir d’injonctions, ils sauront gré au gouvernement de cette preuve d’estime et, peut-être, ils n’écouteront alors que leur conscience et ouvriront les yeux à la vérité.

La logique (ou l’élégance) de ces déductions, la connaissance qu’on savait à Waldeck-Rousseau des choses de la justice, celle qu’on lui supposait des hommes, la charge du pouvoir qui pesait surtout sur lui, la certitude qu’il ne demandait pas d’inspirations à la crainte des responsabilités, l’autorité qui se dégageait de lui comme la lumière d’un corps lumineux, ne rallièrent pas seulement les ministres à son avis, mais encore les principaux revisionnistes. Les reproches, les récriminations ne viendront que plus tard, après la désillusion, la défaite que l’énergique intervention du gouvernement eût pu conjurer. Sur l’heure, les plus jacobins approuvèrent ; pas un, dans toute la presse, qui réclamât d’un mot contre « cette entière liberté » laissée au commissaire du gouvernement.

Les gens de Mercier, sans être indifférents à la perspective de mettre la main sur Carrière, virent très bien que cet avantage ne compensait pas pour eux la limitation des débats. Si les avocats de Dreyfus adoptent résolument le plan de Waldeck-Rousseau, Carrière, même libre de conclure à la condamnation, sera d’un médiocre secours. Dès qu’ils avaient connu l’arrêt de la Cour, leur crainte fût que le gouvernement y