Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Il y avait chez lui un fonds de rudesse et de verve plébéiennes qui, sur le moment, faisait oublier ses roueries. Ce lourd Scapin, à peine l’avait-on surpris dans un nouveau trafic, on se reprenait à le croire brave homme.

Le débat tournait court, semblait épuisé, lorsque Cassagnac et Cochin portèrent le cas de Mercier à la tribune. Cochin, selon son récit, n’aurait rien su de la demande de poursuites si, par hasard, s’étant absenté de la salle, il n’avait lu la dépêche, affichée dans les couloirs, qui annonçait les décisions du gouvernement.

Cassagnac, plus il vieillissait, plus il jouait au brutal, comme pour se donner à lui-même l’illusion qu’il était resté le mousquetaire d’autrefois, et, en outre, par calcul, car il était l’esprit le plus politique de la Droite ; la grossièreté (des diffamations et des mots) n’était chez lui qu’une tactique. Il vit qu’il n’y avait nul moyen de disloquer la majorité sur le scandale d’Auteuil, même en accusant Dupuy d’avoir laissé frapper Loubet comme il avait laissé tuer Carnot et calomnier Casimir-Perier ; mais il fallait la précipiter à nouveau dans l’Affaire ; nécessairement, elle s’y divisera et fera la Droite, une fois de plus, maîtresse de la situation. Ce fut tout l’effort de son discours, d’une gradation savante. Il rappela qu’il n’avait jamais ménagé Mercier ; maintenant encore, il ne le défend pas ; pourtant, il se refuse de croire « à la rumeur publique » : « Vous, son ancien collègue, vous, son ancien président du Conseil, aurez-vous le courage de le livrer ? Commettrez-vous cet acte effroyable ? Je vous crois brave et ce serait une lâcheté. »

Dupuy : « Il faut un certain courage pour faire ce que je vais faire dans un moment. » Cassagnac lui