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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le parent du tout-puissant ministre de la Guerre, ils publièrent l’ordonnance de Bertulus, la confession de Christian, accablantes, semblait-il, pour Du Paty.

Les magistrats furent-ils l’objet de sollicitations de Cavaignac et de Sarrien ? Elles eussent été superflues. Dans ce conflit entre le procureur général qui parlait au nom du Gouvernement et un juge traité de rebelle et de vendu, l’intérêt n’était pas moins manifeste que le devoir.

Ils ne se trompèrent pas sur leur intérêt immédiat : complaire au ministre, à l’opinion. Ils n’avaient pas, comme on le croyait dans le public, à se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence de Du Paty, mais seulement sur une question de compétence, la plus simple, qui n’a jamais été contestée. Que Du Paty fût ou non l’auteur des dépêches, puisqu’il était accusé de complicité avec Marguerite Pays, le juge de droit commun était compétent pour instruire. L’incompétence du juge n’eût pu résulter que de la qualité de l’inculpé ou de la nature du fait incriminé. Or, comment dire que le complice (présumé) de la fille Pays n’appartenait pas à la justice civile ? ou qu’une fausse signature était authentique ? Un tel arrêt serait resté dans le gosier du plus cynique des domestiques judiciaires.

Cependant il fallait rendre au Gouvernement le service de dessaisir Bertulus.

Caze et ses collègues cherchèrent un moyen moins honteux ; ils crurent le trouver : c’était de se faire juges du fond qui ne leur était pas soumis, de ne commettre qu’un excès, qu’une usurpation de pouvoir.

La Cour de cassation, par des arrêts répétés, a interdit aux Chambres de mise en accusation de prononcer l’incompétence d’un magistrat en raison de l’insuf-