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CAVAIGNAC MINISTRE


voué par la note officielle de Cavaignac, traqué par la presse, traité par beaucoup de ses collègues en paria, il ne s’était pas laissé intimider. S’il commit des erreurs d’appréciation, les plus perspicaces les commirent alors avec lui. S’il usa de familiarité avec Esterhazy, qu’il savait un espion, et de complaisance avec Henry, c’est qu’un juge d’instruction qui sait son métier a le droit, dans les limites qui sont tracées par la loi, d’user, selon le caractère qu’il présume aux accusés, d’une apparente confiance ou de rigueur. S’il ne rendit pas compte au procureur de la séance dramatique avec Henry, c’est qu’il instruisait seulement sur les fausses dépêches et que toute la gravité de la scène ne lui était pas apparue ; il ne comprit, ne fut éclairé que plus tard. Mais il avait informé son chef de tout ce qui avait trait à ses réquisitoires, parce qu’il le devait, sans taire son opinion, et bien qu’il ne se dissimulât aucun des dangers qu’il courait en osant, dans ces temps troublés, parler et agir en juge[1]. Il eût fait bon marché de ses fonctions, bien qu’il ne fût pas riche ; il ne voulait pas que ses procédures fussent terminées par un autre que par lui. Un pas de plus, il était brisé. Déjà, en poussant jusqu’à Du Paty, il était allé trop loin.

En effet, dès que Picquart eût porté sa plainte en complicité de faux contre Du Paty, Cavaignac protesta que celui-ci, officier en activité de service, ne relevait que de la justice militaire ; le garde des Sceaux opina dans le même sens ; et Feuilloley invita Bertulus à se déclarer incompétent[2].

Le principe de l’indivisibilité entre les accusés est un des plus certains du droit ; la règle que « le militaire

  1. Cass., I,237 ; II, 21 ; Rennes, I, 352, 355, Bertulus.
  2. 27 juillet 1898.