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CAVAIGNAC MINISTRE


hazy[1], ce qui impliquait que Bertulus y échouerait.

Il n’était nullement indifférent à Esterhazy d’être mangé tout de suite à la sauce civile ou, plus tard, à la sauce militaire.

Ainsi Cavaignac put se persuader qu’il n’était entré dans aucun trafic de justice ; cependant il y était entré ; et, s’il eût quelque scrupule, il eût vite fait de s’en délivrer. Parmi ceux qui ont le souci du bon renom de l’armée et de la France, la crainte d’inutiles scandales, qui le pourra blâmer de préférer le silence d’Esterhazy à de détestables commérages ? Les hommes les plus purs, dans des circonstances aussi graves, peuvent sacrifier quelque chose de leurs coutumières vertus à des considérations d’un intérêt général. La répugnance qu’ils en éprouvent leur montre à eux-mêmes leur noblesse d’âme ; le fait d’y passer outre leur donne la sensation de s’élever au rang des grands politiques. Cavaignac était incapable de comprendre qu’il ne faut pas se mêler des crimes d’État, ou qu’il faut les perpétrer en plein.

Esterhazy dit plaisamment à Tézenas que « la haine était entre Cavaignac et lui affaire de famille et que leurs pères, les deux généraux, avaient déjà ces mêmes sentiments l’un pour l’autre[2]. » Mais Bertulus ne lui arrachera plus un mot de nature à mettre en cause l’État-Major.

Le pacte de silence fut ouvertement ratifié trois jours après[3], quand Henry retourna au Palais pour l’ouverture des scellés.

Henry, qui avait repris tout son calme, dit d’abord à Bertulus que Roget jugeait inutile de le voir et que, « réflexion faite, tout ce qu’il y avait dans le dossier

  1. Cass., I, 592, Esterhazy. — Tézenas a confirmé le propos.
  2. Dessous de l’Affaire Dreyfus, 26.
  3. 21 juillet 1898.
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