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CAVAIGNAC MINISTRE


facilement d’être l’associé d’Esterhazy et qu’il n’avait encore qu’une notion brumeuse et vague de l’abominable vérité. Et, de parti pris, il l’écarta, car l’homme hait naturellement la vérité, et il se suggestionna à croire plutôt que, « pour sauver Esterhazy à tout prix, Henry avait été l’instrument hypnotisé de Du Paty[1] ». L’opinion préconçue de Picquart pesait sur lui. Du Paty était un sot, mais instruit et de bonne compagnie ; Bertulus le tenait pour l’homme intelligent. Henry était un rustre et sans instruction, mais un paysan ; Bertulus le tenait encore pour une bête.

Ainsi, il laissa échapper la victoire[2].

Henry profita du répit pour prendre congé, mais si troublé encore que, sur le pas de la porte, il fit à Bertulus cette étrange demande de sortir un instant avec lui, « pour que les personnes qui étaient dans le couloir (Christian, Marguerite Pays et des journalistes) vissent bien qu’il n’était pas arrêté ». Bertulus y consentit[3].

Il attendit ensuite Roget jusqu’au soir.


XII

Henry respira. Puisque Bertulus ne l’avait pas gardé, c’est qu’il ne savait rien, qu’il avait joué une de ces comédies coutumières, qu’Esterhazy n’avait point parlé.

  1. Rennes, I, 345, Bertulus.
  2. Cass., II, 20, Bertulus : « Depuis que j’ai su qu’il était un faussaire, je me suis souvent reproché de n’avoir pas eu, ce jour-là, une perception plus nette de la situation. »
  3. Cass., I, 228 ; II, 19 ; Rennes, I, 347, Bertulus ; III, 319, André.