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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


La manière d’Esterhazy fut plus savante.

Depuis quarante-huit heures que « Bertulus le laissait mitonner[1] » dans sa cellule, au secret le plus absolu, il avait très nettement analysé son cas, et, dès qu’il put s’entretenir avec Tézenas, il le lui exposa[2] : qu’il était perdu si Cavaignac n’intervenait pas, mais qu’il ne succomberait pas tout seul.

Il joua, en conséquence, à son premier interrogatoire, et encore le lendemain, une menaçante comédie[3]. Quand Bertulus lui présentai les fragments qu’il avait trouvés dans la potiche japonaise, Esterhazy grogna : « C’est la lettre que j’ai écrite au général de Boisdeffre. » Puis, quand le juge voulut dresser procès-verbal, il ne nia pas le propos, mais déclara « qu’il n’avait rien à répondre et qu’il se refuserait à signer quoi que ce soit si le nom de Boisdeffre était cité[4] ». Ainsi Tézenas pourra rapporter à Cavaignac qu’Esterhazy tient Boisdeffre, mais ne le vendra au juge que si le ministre l’abandonne à leur commun ennemi.

    sa maîtresse et le juge : « Mme Pays : Vous allez peut-être arrêter tout l’État-Major ? — Bertulus (avec une politesse exquise et un sourire charmant) : Madame, les plumes d’autruche sont inabordables encore en ce moment, mais nous les aurons plus tard. » — Cass., I, 796, Pays : « Je n’ai jamais reconnu devant Bertulus avoir écrit le télégramme signé Speranza ; ce que j’ai déclaré avoir écrit, c’est un télégramme qu’Esterhazy voulait adresser à mon frère, à Rouen, au sujet de deux chevaux volés. » Elle confirma, plus tard, son aveu à divers témoins. (Cass., I, 747 ; Strong, 783, femme Tournois ; 784, Tournois ; 785, femme Gérard.) — Esterhazy dit ensuite à Strong que, « son avocat ayant invité Mme Pays, par un signe, à ne rien dire, celle-ci avait aussitôt nié son aveu. »

  1. Dessous de l’Affaire Dreyfus, 14.
  2. Ibid., 24. (15 juillet 1898).
  3. 16 et 17 juillet.
  4. Cass., I, 224, Bertulus ; II, 234, Esterhazy : « C’est le projet d’une lettre que je destinais à un général que je ne crois pas devoir nommer ici. »