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CAVAIGNAC MINISTRE


Londres, et descendit dans un hôtel[1]. Après avoir cherché sous quel nom il se dissimulerait, il prit celui d’un des personnages de ses romans. Il n’était plus désormais que « Monsieur Pascal ».

Son départ pour une destination inconnue fut révélé le lendemain par les journaux nationalistes qui exultèrent[2]. Ils surent seulement plus tard qu’il s’était réfugié en Angleterre et, quinze jours durant, le signalèrent sur toutes les routes de l’Europe.

Clemenceau répondit par un article qu’il publia sous le nom de Zola[3]. Il y faisait valoir les raisons de Labori, les siennes, qui avaient décidé le plus illustre des défenseurs de Dreyfus à quitter le champ de bataille, et terminait par cette promesse : « En octobre, je serai devant mes juges. »

  1. Alfred Vizetelly, With Zola in England, 36.
  2. Patrie et Jour du 19 juillet 1898 et tous les journaux du lendemain. — Cornély, dans le Figaro du 21, expliqua fort bien « la faute » que Labori et Clemenceau avaient fait commettre à Zola : « Quand on a affaire à une personne, à la rigueur à un groupe restreint, on peut se permettre des actes qui ont besoin d’être expliqués, parce qu’on peut espérer convaincre les gens. Quand on a affaire à une foule, on ne peut être compris qu’au moyen d’actes excessivement simples, de gestes, pourrait-on dire… C’est un acte bien compliqué que de se soustraire au contact d’un huissier pour prolonger des délais d’opposition. C’est un acte tellement compliqué que l’opinion publique ne le comprendra pas et que, rapprochant ces deux faits : Zola a été condamné et Zola a passé la frontière, elle pensera que M. Zola est en fuite, et cela est tellement vrai que la première précaution des journaux qui soutiennent le romancier a été d’écrire en caractères d’affiche : « Zola n’est pas en fuite. » — Clemenceau répondit faiblement : « Nous ne sommes pas chargés de fonder le Zolisme. » (Aurore du 22 juillet 1898.)
  3. Clemenceau prit la précaution de faire porter l’article à Londres par Bernard Lazare ; Zola fut ainsi avisé, le 20 juillet au matin, à l’heure même où « sa prose » paraissait à Paris. — L’article (Pour la Preuve) ne figure ni dans le recueil de Zola ni dans celui de Clemenceau.