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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


à des roulements de tambours et, bientôt, la Marseillaise entonnée par les instruments de cuivre, répétée, sur l’immense place, par des centaines de voix avinées, irritées ou simplement joyeuses[1].

Tout ce bruit effraya le cheval du général qui se cabra ; Roget, qui avait l’épée à la main, en frappa le bras de Déroulède, ce que plusieurs dans la foule prirent, de loin, pour un salut, et, résolument, lui signifia son refus : « Lâchez mon cheval et laissez-moi passer. » En même temps, de la voix et du geste, il intima aux sapeurs, « tellement pressés » par les ligueurs « qu’ils étaient en quelque sorte soulevés » et pas mal « ahuris », l’ordre de continuer leur marche[2]. Les émeutiers s’efforçaient de les entraîner, de les pousser vers le faubourg Saint-Antoine ; Roget indiqua de l’épée le boulevard Diderot, c’est-à-dire la caserne de Reuilly[3]. Déroulède, un instant séparé du général par l’écart du cheval, ramené à la botte par un remous de la foule, acclamé par ses hommes qui continuaient à crier : « À Paris ! à l’Élysée ! », reprit ses objurgations. Et les bouchers de la Villette continuaient, eux aussi, à crier sous l’œil de Guérin, qui leur avait dit « qu’une visite à Loubet ne lui serait pas désagréable[4] ». Roget était pâle, très ému, fort occupé de son cheval « qui risquait de se renverser » ; mais soit que le spectre de Mallet fusillé lui eût apparu, soit qu’il se fût rendu compte que tous les soldats ne l’auraient pas suivi, soit que sa conscience lui parlât plus haut que Déroulède et que

  1. Instr. Pasques, 12, Roget ; 17, Gauchotte, 29, Déroulède ; 38, Habert ; 51, capitaine Morris, officier d’ordonnance de Roget.
  2. Ibid., 12 et 65, Roget ; 24, sapeur Pager ; 38, Habert ; 40, caporal Dessaint ; 45, sapeur Napoléon ; 48, sapeur Delavoix.
  3. Ibid., 12, Roget ; 17, Gauchotte ; 51, Morris.
  4. Haute Cour, 21 novembre 1899, Guérin.