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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Déroulède, quand il reconnut Roget au lieu de Pellieux, était encore à temps pour battre en retraite. Il ne s’était pas proposé de faire son coup avec « le premier général venu », mais avec « le premier général qui viendrait[1] ». Mais il était lancé maintenant et, s’il eut une vision rapide pendant ces quelques minutes, ce fut celle de son retour à la Ligue, bredouille, après tant de belles promesses, « ses mameloucks » en colère qui lui demanderaient des comptes, l’effondrement de son œuvre, et le petit Castellane à qui il avait dit si fièrement, comme Alexandre ou César à la veille d’une victoire : « C’est pour demain ! » — Déjà Guérin, l’œil goguenard et expectant, était à ses côtés[2]. — Il se dit aussi[3] que, si Roget, l’homme de Cavaignac, qui, d’après les ordres de l’avant-veille, aurait dû prendre la queue du cortège et qu’il avait vu le matin encore aux abords de l’Élysée[4], se trouvait maintenant à l’avant-garde, c’était sans doute que le destin l’avait choisi, et, jouant le tout pour le tout, il se jeta à la bride de son cheval[5].

Roget, quand il vit surgir de la foule ce grand esco-

  1. Instr. Pasques, 29, Déroulède. — De même Roget : « J’étais le premier général qui se présentât sur cette place. Était-ce à moi qu’on en voulait ou au premier général qui paraîtrait ? Cette dernière hypothèse est la plus vraisemblable. » (Ibid., 12.)
  2. Haute Cour, 21 novembre 1899, Guérin.
  3. Instr. Pasques, 79, Baillière.
  4. Ibid., 12, Roget.
  5. Ibid., 12, Roget. — Il existe, de Roget, cinq récits de l’affaire de Reuilly : son rapport du 23 février à Zurlinden et ses dépositions du 24 devant Cochefert, du 25 devant le juge Pasques, du 30 mai 1899 à la cour d’assises et du 1er décembre 1899 devant la Haute Cour. Ces récits concordent sur presque tous les points ; je suis de préférence celui du 24 février 1899. — Pour les divers récits de Déroulède, Habert et autres, je suis, de même, ceux qui furent recueillis par le juge Pasques, au lendemain de l’affaire de Reuilly. Je ne renvoie aux autres que pour des incidents qui n’y sont pas mentionnés.