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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rieure » les desseins de Déroulède. Il y était d’autant plus tenu qu’il était gouverneur de la place de Paris et du département de la Seine. Mais ce qui était son devoir, il en avait fait par sa faute une vilenie, et qui l’aurait perdu. Il avait sali son uniforme, le jour où il avait entendu Déroulède, et, quoi qu’il fît, la tâche était ineffaçable.

Cependant Déroulède l’attendait à la place de la Nation, où il s’était installé, avec Barrès, dans une loge de concierge[1], son écharpe de député en sautoir, ses poches bourrées de proclamations, de décrets, de pièces d’or, de billets de banque (environ cinquante mille francs) pour parer aux premiers besoins[2], et fort satisfait de la façon dont ses consignes auraient été exécutées. Habert, qui n’était pas moins gascon que lui, bien que natif de Montfort-l’Amaury (Déroulède était né à Paris), lui avait rapporté que tout allait pour le mieux. À l’en croire, la longue route de la barrière du Trône à l’Hôtel de Ville et à l’Élysée était jalonnée de leurs partisans et il avait « trompé » la police par un faux avis ; — sur le refus qui lui avait été opposé de laisser porter au Père-Lachaise la couronne de la Ligue, il aurait répondu à l’officier de paix qu’il allait inviter ses camarades à se disperser, et, bien au contraire, il avait envoyé à la place de la Nation les plus résolus, mais qui ne savaient encore rien, « pareils à des officiers de marine qui prennent le

  1. Barrès, Scènes du Nationalisme, 238.
  2. Déroulède dit qu’il avait prélevé cet argent sur la caisse de la Ligue et qu’il s’en était muni « pour ravitailler les soldats qui étaient sur pied depuis 6 heures du matin et parer aux premiers besoins ». (Écho de Paris du 12 juin 1899.) — De même Barrès : « Déroulède jugea nécessaire que je connusse cet argent. (238) À la Haute Cour, il passa l’incident sous silence. Cette somme de 50.000 francs avait été indiquée, dès le mois de mars, par le préfet de police dans son rapport.