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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Il ne restait plus à la Cour qu’à statuer sans le concours du jury, c’est-à-dire à condamner les accusés défaillants au maximum.

Zola, s’il eût fait opposition au jugement, l’eût fait tomber ; l’affaire fût revenue en septembre.

C’était la manœuvre que Périvier avait prévue et annoncée lui-même. Ainsi on gagnerait deux mois, pendant lesquels « de vives clartés jailliraient forcément des enquêtes ouvertes contre Esterhazy et Picquart » : « la justice, alors, s’imposerait[1] ».

Et c’était aussi le sentiment de Zola ; mais Labori avait combiné un autre plan, ou il l’improvisa en revenant de Versailles, dans la poussière et le trouble de cette chaude journée d’été. Il conseilla à Zola de quitter la France le soir même, afin que le jugement ne pût devenir exécutoire[2]. En effet, dès que l’arrêt lui aura été signifié, Zola ne sera plus le maître de son procès ; sitôt qu’il aura fait opposition, les assises seront convoquées à nouveau, et il sera condamné une troisième fois, définitivement[3].

    Ranc écrivit « qu’on n’avait pas le droit de disqualifier un homme qui s’était battu bravement, pour un mouvement nerveux, instinctif, machinal ». (Radical du 21 juillet 1898.)

  1. Zola, dans l’Aurore du 5 juin 1899.
  2. Article 56 de la loi sur la presse.
  3. Une seconde condamnation, même contradictoire, eût-elle été définitive ? Ce n’était pas l’avis des jurisconsultes les plus compétents. En effet, l’arrêt, qui avait cassé la première condamnation de Zola, était fondé sur ce principe certain que les conseils de guerre sont des juridictions permanentes ; Billot ne devait donc pas réunir les officiers qui avaient siégé en janvier 1898, qui n’existaient plus comme juges en avril, au moment de l’arrêt de la Cour suprême, mais ceux qui composaient alors (en avril) le conseil de guerre. Si tous les juges d’Esterhazy avaient été morts, le droit du conseil « permanent » fut resté intact. C’est ce qu’avait dit formellement Chambaraud : « Le conseil permanent devra délibérer, encore bien que le Conseil de guerre spécialement constitué pour telle affaire