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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


viction personnelle, il justifiait les doutes des promoteurs de la revision.

Monod, Gaston Pâris lui écrivirent, le conjurant « d’éclaircir ce douloureux mystère », de ne pas se décider avant d’avoir entendu Picquart[1]. Ils le considéraient un peu comme un confrère, à cause d’un gros volume sur la Formation de la Prusse contemporaine. Et de ce qu’il était probe, inflexible sur les affaires d’argent, de sa dure réputation de justicier et d’incorruptible, ils espéraient qu’il aborderait loyalement le problème, sans préjugés ni parti pris.

Malgré les échecs répétés qu’il avait subis devant la Chambre, Cavaignac avait beaucoup grandi ; il était le vrai maître de la situation, et, sans Brisson, il l’eût été du ministère. Tant qu’il siégea au centre, il ne fut qu’un député studieux, attentif, sans action personnelle. Les radicaux le firent, comme ils avaient fait Boulanger. Maintenant, sa popularité rejaillissait sur eux ; ni l’injurieuse confiance que lui témoignaient les césariens, ni l’appui qu’il trouvait dans le côté droit, et qu’ils avaient tant reproché à Méline, ne les offusquaient. Ainsi, il pouvait ce qu’il eût voulu, même la justice. Sa parole, son honnêteté, qui les aurait mises en doute ? Ni Déroulède,

  1. J’écrivis le 4 juillet, à Monod : « Cavaignac va examiner le dossier secret. Le danger, c’est qu’il circule des faux, et même des faux ridicules, pour des documents authentiques, il faudrait le mettre en garde (et aussi le public) contre des papiers Norton… Quand il fut démontré que les papiers de Chastes étaient des faux, Thiers persista à soutenir que la lettre de Pascal sur la gravitation était authentique. Cela flattait son chauvinisme. Avec cette lettre il damait le pion à Newton, à l’Angleterre. » Gaston Pâris m’avait écrit le 1er  juillet : « J’ai fait appel au courage et à la loyauté de Cavaignac. Je n’ose espérer beaucoup, car mes sentiments lui sont, indirectement, connus depuis longtemps, et il n’a pas éprouvé le besoin de s’en expliquer avec moi. » Monod demanda vainement à Cavaignac de le recevoir.