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MORT DE FÉLIX FAURE


Dans les salles voisines, ses amis causaient, les uns « très confiants », comme l’eussent été les compagnons du Vieux de la Montagne, les autres « inquiets de son silence absolu sur ses moyens d’action ».

Vers deux heures du matin, le jeune Castellane, pour qui la politique était un sport et qui conspirait comme il chassait à courre, entra chez Déroulède et ce dialogue s’engagea : « Alors, c’est pour demain ? — C’est pour demain. — Et que diriez-vous si le duc d’Orléans paraissait tout à coup au milieu de vos amis ? — Est-ce un avis ou est-ce une invite ? — Ce n’est qu’une question. — Alors, voici ma réponse : « Si le duc d’Orléans se présente demain au milieu des miens, c’est moi-même qui lui mettrai la main au collet[1]. » Puis, s’échauffant, et, sans expliquer à qui il aurait livré le duc, après l’avoir arrêté en pleine émeute, où il l’aurait conduit, et pourquoi il avait seul le droit de faire de mauvais coups : « C’est pour la République que je marche. On ne fera pas de moi un agent royaliste malgré moi… D’ailleurs, j’ai encore là quelques amis et je vais leur donner des instructions pour le cas où cet odieux coup de surprise (contre son coup de force) serait tenté. »

Déroulède criait de toute sa voix ; des pièces voisines, on l’entendait éclater.

Castellane (dans le récit de Déroulède) ne vit pas le comique de la chose : « Je ne vous ai pas dit que le duc d’Orléans serait là demain ; je vous jure même qu’il n’y sera pas. » (Et ce serment suffisait à prouver que Cas-

    Méry.) — Les rapports de police confirment ces versions concordantes. — Jaurès ayant supposé que le visiteur mystérieux était Guérin, Déroulède le démentit formellement (dépêche du 27 février 1901 à Drumont, et de même Guérin (dépêche du 28 à Monniot, de la Libre Parole).

  1. « Je lui f… la main au collet. » Haute Cour, 20 novembre 1899.)