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MORT DE FÉLIX FAURE


les plus dénués de scrupules, qui parlent de tout casser et de jeter les avocats par les fenêtres, dès qu’il s’agit d’une initiative à prendre, sont saisis d’une timidité subite. Pellieux n’était pas Bonaparte qui, sans Lucien, s’effondrait sous le « Hors la loi ! » des Cinq Cents, et il n’était pas de beaucoup supérieur à Boulanger qui, le soir de son élection à Paris, quand il n’avait qu’un pas à faire pour coucher au moins une nuit à l’Élysée, préféra retrouver sa maîtresse et s’enfuit ensuite devant Quesnay. Tout ce qu’obtint apparemment Déroulède, ce fut une demi-promesse, conditionnelle : si le peuple, c’est-à-dire Déroulède, tirait le premier, Pellieux, c’est-à-dire l’armée, suivrait[1].

Il s’occupa alors des moyens d’exécution. Comme Faure avait été autrefois vice-président de la Ligue, au temps où j’en étais le secrétaire général, les « Patriotes » demandèrent à figurer dans le cortège, et, bien que Dupuy fût au courant, par la police, des projets de la bande, il accorda l’autorisation[2]. Il savait notamment

  1. On trouvera, dans les pages qui suivent, les preuves de cette entente verbale ou, si l’on veut, de cette ébauche d’entente entre Pellieux et Déroulède. La certitude que j’ai de cette « reconstitution » résulte, non seulement de renseignements particuliers qui me sont venus de diverses personnalités royalistes, très au courant de ces incidents, mais d’un ensemble de faits acquis, incontestés : 1° que Déroulède, à la place de la Nation, attendait un général ; 2° que ce n’était pas Roget ; 3° que Pellieux se fit renvoyer directement par Zurlinden du Père-Lachaise à l’Hôtel des Invalides, laissant, par ordre, à un colonel, le commandement de sa brigade ; 4° que Guérin avait été averti du coup. Les dépositions de Zurlinden et de Roget, les divers récits de Déroulède, celui de Gaston Méry (sauf en ce qui concerne la trahison de Guérin), celui de Spiard, concordent ou s’enchaînent parfaitement. Si Déroulède a écrit des Mémoires, il faudra les contrôler par ses propres dépositions et son discours de Saint-Sébastien. ADDENDUM tome 7, p. 293 : [— Tout ce que j’ai écrit ici, en 1904, dans le texte et les notes, et plus loin page 593 et suivantes, a été confirmé par Déroulède lui-même aux obsèques de Barillier, le 3 octobre 1910. Voici, d’après le compte rendu des journaux, le principal passage du discours prononcé par Déroulède aux obsèques de son ami : « Je veux rappeler, dit-il, un événement auquel le défunt fut mêlé : certains journaux ont assuré que c’était par hasard qu’il avait joué un rôle dans l’affaire de Reuilly. « Eh bien non ! ce n’est pas par hasard que nous nous trouvions le 18 février, Barillier et moi, place de la Nation. Rien de ces événements n’a été dû au hasard ; ce qu’il y a eu d’inattendu, c’est un général qui est venu et qu’on n’attendait pas au lieu d’un général qui devait venir et qui n’est pas venu. « Le général Roget ne nous a pas trahis, il n’avait pas à nous trahir et ce n’est pas lui qui nous a fait arrêter, c’est le général Florentin. « Voilà le secret que Barillier voulait que je garde ; mais puisqu’il n’est plus, je le crie aujourd’hui bien haut. »]
  2. Instr. Pasques, 27, Déroulède ; 37, Habert ; Haute Cour, 16 décembre 1899, Thiébaud.
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