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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

VII

La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi de Zola[1], son procès revint le 18 juillet à Versailles. Il adressa l’avant-veille une lettre véhémente à Brisson : « Vous incarniez la vertu républicaine, vous étiez le haut symbole de l’honnêteté civique… Vous tombez dans l’Affaire. Vous voilà dépossédé de votre souveraineté morale, vous n’êtes plus qu’un homme faillible et compromis[2]. » Et vingt pages sur ce ton, âpres et puissantes :

Spectacle lamentable, la fin d’une vertu !… Vous croire assez peu intelligent pour garder une ombre de doute sur l’innocence de Dreyfus, grand Dieu ? Vous ignorez donc tout de cette tragique histoire ? Vous n’avez donc pas lu ses lettres ?… Plus tard, elles resteront, comme un monument impérissable, lorsque nos œuvres, à nous écrivains, auront peut-être sombré dans l’oubli ; car elles sont le sanglot même, toute la souffrance humaine. Lisez-les, Monsieur Brisson, lisez-les un soir avec les vôtres au foyer domestique. Vous serez baigné de larmes.

Il terminait en s’étonnant que « tant d’ambitieux fussent tous de petits hommes… Chaque ; fois que je vois un de vous céder au vent de folie, se salir dans l’affaire Dreyfus, avec la sotte pensée peut-être qu’il travaille à son avènement, je me dis : « Encore un qui ne sera pas Président de la République ! »

On interpréta une pareille sommation comme la pro-

  1. 16 juin 1898.
  2. Aurore du 16 juillet.