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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


saturnales parisiennes. Il y avait longtemps que Paris qui s’était livré à Boulanger après avoir renié Gambetta et Ferry, ne donnait plus le mot d’ordre aux départements, sauf pour qu’ils en prissent le contre-pied. Beaucoup réfléchissaient à l’étonnant assemblage de contradictions qui faisait que le suffrage de cette grande ville fût la consécration suprême de toutes les gloires, des rois comme des penseurs et des poètes comme des comédiens, et que son histoire eût été si souvent au rebours de la tradition nationale.

Loubet était à peine parti sous ces clameurs que Déroulède arriva de Versailles, avec son escorte ordinaire, et que la même cohue le salua de ses applaudissements. Il en prit la tête et, comme les plus échauffés lui criaient de marcher sur l’Élysée, mais qu’il craignait de s’y faire empoigner, il lui vint l’idée, qui était bien de sa façon, de faire patienter « ce mépris exultant » en allant pèleriner à la statue de Jeanne d’Arc qui se trouve à la place des Pyramides[1]. Guérin, pour prendre les devants, avait déjà fait imprimer un manifeste contre Loubet, « l’élu des juifs », et ses camelots le distribuaient à foison[2]. Mais le cœur de cette cohue — cinq à six cents hommes[3] — était ce jour-là à Déroulède, de beaucoup un meilleur manieur d’hommes que Guérin, et tout le succès fut pour lui. Adossé au piédestal de la statue, il déclara la guerre à Loubet et proclama la nécessité « de bouter hors de France, comme Jeanne d’Arc avait fait des Anglais, une constitution étrangère ». Une fois débondée, son éloquence était intarissable. « Ou-

  1. Cour d’assises de la Seine, procédure contre Déroulède et Habert, mars 1899, dans les documents distribués à la Haute Cour, Instr. Pasques, 27, Déroulède. — Haute Cour, 20 novembre 1899 : « J’ai dit à Marcel Habert… etc. »
  2. Libre Parole, du 19 février 1899.
  3. Haute Cour, I, 58, dépêche de l’officier de paix Murail.