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CAVAIGNAC MINISTRE


l’avouait lui-même, par tant d’appels obstinés des revisionnistes à sa conscience de vieux républicain. Plusieurs de ces hommes avaient été, à diverses époques, ses compagnons de lutte, et il savait qu’ils n’étaient pas des vendus. Il était, depuis trente ans, l’ami de Scheurer, de Ranc, de Clemenceau, prisait Trarieux, admirait Jaurès, me tenait pour un « républicain fidèle et un écrivain pénétrant[1] ». Étaient-ils des hallucinés ? Ou lui-même était-il aveugle ? Il ne se croyait pas moins clairvoyant qu’eux et il se savait aussi honnête ; et toute sa vie déjà longue, où il y avait, comme dans toutes les existences, des erreurs et des fautes, mais pas une tache, il l’avait vouée à l’idéal républicain, la justice. Il se persuadait, comme on étouffe un remords, qu’il ne l’avait pas désertée, et, pourtant, des voix éloquentes ou généreuses l’en accusaient. Très patriote, né dans ce Berry qui est le cœur même de la France, qui fut un jour toute la France avant que la Lorraine lui envoyât Jeanne d’Arc, élevé par un vieux soldat des grandes guerres de la Révolution et de l’Empire, il avait le culte de l’armée. Mais l’armée était-elle en cause, et, si elle l’était, qui lui faisait le plus injure, d’un Gohier, en l’outrageant, ou d’un Rochefort, Scapin décrépit, en s’enveloppant du drapeau ?

Il tomba malade, n’assista pas à la revue du 14 juillet où Cavaignac s’offrit aux applaudissements à côté de Félix Faure, les disputa à Pellieux.

  1. H. Brisson, La Congrégation, 14.