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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de la liste des prévenus », et avait réussi ainsi à retarder, « exprès », l’envoi des citations, fait très grave, s’écriait aujourd’hui Quesnay[1], après s’être félicité en son temps de ce retard « providentiel[2] ». « Je suis témoin, clamait-il, je jure devant Dieu et les hommes de dire la vérité ! » D’où Lemaître tirait cette conclusion « qu’il était humiliant pour le pays que la candidature d’un tel homme eût pu prendre de la consistance ». Par trois fois, il répéta : « Nous ne voulons pas de Loubet », et il en donnait les raisons : que « Loubet était d’une trop notoire insuffisance intellectuelle », qu’il était « le candidat des dreyfusistes et des panamistes », qu’il était patronné par Clemenceau[3]. Il avait gardé le souvenir des accusations portées par Déroulède, en 1892, contre Clemenceau, les tenait pour exactes et que son éclatante campagne pour Dreyfus n’était pas désintéressée. — Misère de ces temps où les morts eux-mêmes combattaient pêle-mêle (j’entends : les fautes et les

  1. Écho de Paris du 19 février 1899 : « Le mal était très grand, car le 19 (novembre 1892) tombait un samedi : c’était le renvoi des citations au surlendemain, et, dès la nuit suivante, le baron de Reinach mourut, ce qui fait que, malgré ma volonté, il ne fut jamais touché par mes huissiers. »
  2. Le 20 novembre 1892, Quesnay m’avait écrit : « Le magistrat a gravi hier l’âpre chemin et jamais on ne saura ce qu’il a souffert ; aujourd’hui, il jette au feu le fatal papier que le président du Conseil avait providentiellement arrêté dans ses mains. C’est fini. Il a oublié jusqu’au nom prononcé et écrit la veille… Nous sommes arrivés à une heure d’effondrement et de décomposition qui serait suivie de la chute du Régime lui-même si, dans un avenir prochain, ne se retrouvent une petite phalange de citoyens de foi et de courage, comme vous, pour travailler au sauvetage suprême… etc. » La veille, c’était Quesnay lui-même (par une carte-télégramme, datée de 2 heures), qui m’avait prévenu, « avec un grand serrement de cœur », que « les citations contenaient un nom qui me tenait de près ».
  3. L’article est intitulé Déclaration.