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LE DESSAISISSEMENT


rent une douzaine de braillards, de l’officine où opèrent les sous-Drumont de province.

Un médecin de Toul, Chapuis, radical épais et sournois, — ses amis célébraient sa vertu et ses adversaires disaient qu’il tenait boutique de patriotisme, — déclara qu’il votait avec Dupuy « pour ne pas refaire une virginité morale à Barthou ».

On attendait les grands chefs, Ribot ou Bourgeois ou Brisson. Ils se turent. Un royaliste put écrire : « Ils auraient pu succomber en jetant à leurs adversaires un dernier défi ; ils ont préféré la mort sans phrases[1]. » Quand leurs troupes les virent s’abandonner ainsi, elles les abandonnèrent. Presque tout le centre, les deux tiers des radicaux, votèrent avec la droite[2]. Nulle victoire ne fut plus facile.

Restait le Sénat. On le savait indigné, résolu à livrer la bataille avec toutes ses forces, après cette pitoyable rencontre. Faure, dans la joie de son grand succès, dit à Dupuy : « Si le Sénat rejette la loi, je ferai un message, je demanderai une seconde délibération. »

  1. Gaulois du 11 février 1899. « Leur silence a été un acte d’abandon. » (Petit Parisien.) Leur manifeste, comme un acte unique d’hostilité, c’était une démonstration — superflue — de couardise. » (Clemenceau.) « En vain, on a supplié, adjuré Bourgeois de prendre la parole. » (Rappel.)
  2. Le passage à la discussion des articles fut voté par 326 voix contre 206, l’article unique du projet par 324 contre 207. Méline vota pour, ainsi que Mézières, Charles Ferry, Marc Sauzet, ancien professeur de droit ; Meyer, Cruppi, anciens magistrats, Cochery, Hémon, Pourquery de Boisserin, Dujardin-Beaumetz, Odillon Barrot, Ordinaire, Pochon, Louis Ricard et Wilson. La minorité est composée des socialistes, des amis de Brisson, de quelques modérés, Étienne, Jules Roche, Thierry Delanoue, Fanien, Jumel, Aynard, Rouvier, et des signataires du manifeste. Deux membres de la droite, Conrad de Witt et Fould, s’abstinrent.
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