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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


cer de nouveau Dreyfus). Les jurés eussent été intimidés, mis en demeure de choisir entre l’armée et moi. Drumont, le matin de l’audience, me consacra tout un numéro de son journal.

Il eût été fou d’accepter un tel débat[1]. Pourtant, il était dur d’avoir l’air de fuir, et j’hésitai à en avoir le courage, bien que ce fût l’avis de Waldeck-Rousseau, de Trarieux et de Duclaux, me souvenant que j’avais conseillé à Zola de plaider à Versailles et cherchant à me persuader que je ferais, quand même, apparaître la complicité qui expliquait tout le drame. Mais Mathieu Dreyfus me décida. Il avait l’art de convaincre, à force de bon sens et d’émotion contenue. Il n’avait pas cessé, un seul jour, de poursuivre sa tâche, allant de l’un à l’autre, parlant toujours raison, informé de tout. Il me demanda de sacrifier mon amour-propre et j’y consentis.

Guérin et Marcel Habert, en l’absence de Déroulède, mobilisèrent leurs hommes, avec l’aide de Rochefort, qui donna l’argent[2]. Vaughan amena des socialistes. Mais la journée fut calme, sauf des cris : « Vive Henry ! Mort aux juifs ! » et quelques rixes.

Labori développa ses conclusions : « Le sursis (jusqu’après le prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation) s’impose dans l’intérêt d’une bonne administration de la

  1. Clemenceau : « Joseph Reinach et Labori seraient fous d’accepter un tel débat. Ils ont la preuve à faire et ne peuvent consentir qu’on leur refuse, — contre la loi, — le moyen de la produire. » — Ranc : « Silence commandé. Reinach aurait été vraiment trop bête, de se prêter à cette manœuvre, de se laisser prendre à ce traquenard. Qu’il laisse donc crier qu’il a reculé, qu’il a eu peur du débat public. Fort de sa conscience et de son courage moral, qu’il laisse aboyer les imbéciles ameutés par les coquins ! »
  2. Haute Cour, Rapport Hennion, 12 et 13.