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LE DESSAISISSEMENT


avait été l’homme de l’État-Major pour s’en dédire, mais il consentit à ne pas s’avouer l’auteur du bordereau, fût-ce par ordre, ce qui aurait fait de lui « l’auteur de la Revision ». Certainement, il reçut de l’argent pour son silence[1].

Comme s’il avait été le confident de redoutables mystères, il demanda à Freycinet « d’être relevé du secret professionnel » ; c’était la menace, à peine déguisée, de divulguer ses rapports avec le ministre de la Guerre, en 1892. Freycinet comprit et, très humblement, fit envoyer au misérable la même lettre qu’aux « autres » témoins militaires : « Si, au cours de votre déposition, il se présentait des points au sujet desquels les explications à fournir seraient de nature à compromettre la sécurité du pays en faisant naître des complications diplomatiques, ou à désorganiser le service des Renseignements en divulguant les noms de nos agents à l’étranger, ou à mettre en cause des personnalités dont les noms n’importent pas à la manifestation de la vérité, vous réserveriez votre réponse et vous en référeriez au ministre de la Guerre[2]. »

Il parla, avec sa verve habituelle, mais seulement des événements de la dernière année, de la collusion et de

  1. Il écrivit, le mois suivant, à Cabanes : « Cher maître, je ne partage pas votre sentiment. Il m’importait peu, en effet, d’être ou non l’auteur de la Revision. Ce qu’il m’importait, c’était de me défendre, moi et moi seul, abandonné par tous, et c’est pour cela que je devais parler. Enfin, ce qui est fait est fait. » — Je possède l’original de cette lettre. — Dans une autre lettre à Cabanes, qui fait également partie de ma collection : « Rassurez-vous, je ne publie (dans le Daily Chronicle) que ma déposition, avec quelques considérants pour Cavaignac et sur Henry, très favorables, bien entendu, à ce dernier. Mes grosses armes ne seront employées qu’après en avoir délibéré avec vous. » (3 mars 1899.)
  2. 20 janvier. (Fac-similé dans les Dessous de l’Affaire. 173.)