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LE DESSAISISSEMENT


cience n’y eût de récompense à attendre que d’elle-même. La laideur, c’est la crainte des basses vengeances, du soupçon. Du premier jour au dernier, ce fut le règne de la peur[1].

Les dépositions de Painlevé et de Jacques Hadamard[2] firent apparaître le mécanisme d’État-Major qui, d’un propos favorable de Dreyfus, faisait une charge, — un faux et une pièce secrète[3]. D’Ocagne, d’affirmations si hardies dans les antichambres du ministère de la Guerre, balbutia, n’osa pas se parjurer ; il convint qu’Hadamard avait bien dit à Painlevé que « la culpabilité de Dreyfus n’était pas établie » ; et que « Lonquéty n’avait pas attaché grande importance à sa rencontre avec Dreyfus à Bruxelles »[4].

La déposition de Décrion, l’un des agents ordinaires d’Henry, fut accueillie avec réserve. Il avait été arrêté récemment sous l’inculpation d’escroquerie et avait conté au juge Flory une étrange histoire, d’un sac de papiers, des lettres d’Esterhazy, qu’Henry lui aurait remis en juillet, à l’arrivée de Cavaignac au ministère, et qu’il aurait déposé en Belgique, en lieu sûr. Il offrit, un peu plus tard, de livrer ces papiers si on voulait le faire conduire, entre deux inspecteurs de la police, à l’endroit où il les aurait cachés. Cela parut, peut-être à tort, un roman. Les tares de l’individu gâtaient ce qu’il y avait d’exact dans son récit, comme quoi,

  1. Les dépositions que je viens de résumer ou de mentionner s’échelonnent du 5 décembre 1898 (Galliffet) au 19 janvier 1899 (Ducros) ; il m’a paru indispensable de les grouper pour ne pas couper le fil du récit. Les dépositions qui suivent furent faites en janvier et en février.
  2. Cass., I, 754, 757, Painlevé ; 756, Hadamard.
  3. Pièce 96. — Voir t. III, 591. — Cavaignac racontait, dans les couloirs de la Chambre, que cette pièce 96 « démontrait la culpabilité de Dreyfus ». (Rennes, III, 345, Painlevé.)
  4. Cass., I, 755, d’Ocagne.