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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


plus un mot[1]. Pourtant, la forgerie avait existé, on n’en pouvait douter ; le comte de Turenne rapporta à la Cour de cassation que Munster lui-même, au printemps de 1898, s’en était inquiété[2] ; et le bruit courait obstinément que Mercier tenait en réserve une preuve terrible. En fait, on laissait aux lettres, trop discréditées, le temps de muer en bordereau annoté.

Trarieux rapporta ses conversations avec Tornielli, aussi explicite sur Esterhazy que sur Dreyfus ; Laroche, celles de l’archiduc Victor, frère de l’Empereur d’Autriche, avec l’amiral Duperré ; Monod, les déclarations de plusieurs personnages étrangers, le marquis de Visconti-Venosta, les généraux Ricotti et Primerano, le prince Lichnowski, la comtesse de Bulow[3].

L’invraisemblable, après tant de preuves que le bordereau était d’Esterhazy, ce fut d’entendre les experts (Teyssonnières, Bertillon, Couard, Belhomme, Varinard) renouveler leurs démonstrations qu’il était de Dreyfus. L’anthropométreur insista sur la lettre de Mathieu Dreyfus qui avait été trouvée dans le buvard de son frère ; Mathieu écrivait (le 17 septembre 1894) que l’indemnité pour l’incendie de l’une de leurs fabriques de Mulhouse avait été fixée à 700.000 francs, qu’il toucherait cette somme en janvier. Selon Bertillon, qui croyait ou feignait de croire que le gouvernement allemand est lui-même assureur en Alsace, c’était le prix du bordereau.

Charavay, sans se rétracter encore, dit « qu’il y avait

  1. J’y étais revenu à plusieurs reprises, notamment dans le Siècle du 27 septembre. De même Jaurès (Petite République du 20 décembre), Clemenceau, Grousset (Le mot de l’Énigme, lettre au procureur général près la Cour de cassation).
  2. Cass., I. 612, Turenne.
  3. Ibid., I, 456, Monod ; 462, Trarieux ; 473, Laroche.