Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
500
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


leurs fonctions, remuaient, détachaient beaucoup de monde. D’autre part, ces gens paisibles et sensés s’effrayaient des socialistes, assez tard venus dans l’Affaire, mais qui prétendaient l’accaparer, frottaient la coupe de la Justice de trop d’absinthe et projetaient de remplacer l’armée par des milices ; et, surtout, ces commerçants, grands et petits, cette laborieuse mais craintive bourgeoisie, souhaitaient la fin des troubles et l’apaisement.

Exploiter ces craintes, ces répugnances et le besoin d’en finir ; par cela même, enrayer le mouvement vers la Revision ; ramener les timides à l’Église et à la Dictature qui sont le refuge ordinaire des dégoûtés de la Liberté ; — l’entreprise valait d’être tentée.

Les promoteurs en furent trois universitaires : Dausset, Syveton et Vaugeois[1] qui, fort échauffés et poussés par Maurras, le véritable inventeur de la nouvelle Ligue, s’adressèrent à Coppée, à Lemaître et à Barrès. Coppée, l’année d’avant, avait eu quelques jours d’hésitation : instruit de l’Affaire par Leblois et par Zola[2], il écrivit un article plein de larmes, l’adressa au directeur du Journal, qui le pria de réfléchir jusqu’au lendemain, et il réfléchit si bien (à sa clientèle religieuse et mondaine) qu’il s’était jeté dans un militarisme lyrique et dans une grossière dévotion. — Lemaître, très sceptique, aussi hardi pendant un temps qu’Anatole France avait paru alors conservateur[3], s’était piqué de politique à voir aux plus hauts

  1. Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, 66, 69.
  2. En octobre 1897, avant les premiers articles de Zola. — Le Rappel du 15 mai 1899 raconta l’anecdote ; Coppée, interrogé, dit « qu’il n’avait rien à répondre ». Temps du 16.)
  3. Lemaître, Opinions à répandre, 92 : « L’armée, en temps de paix, n’est plus qu’une vaste administration, où l’on avance de la même manière que dans les autres. D’abord par l’intrigue,