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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


était vide, avec une seule pièce, la lettre de Cavaignac à Sarrien. Cavaignac, informé, envoya aussitôt au parquet un officier (Cuignet) qui expliqua que l’affaire était des plus graves, et que les preuves abondaient. Comme Fabre hésitait encore, le ministre lui fit remettre une « annexe » à sa plainte, antidatée de la veille, où il était affirmé que les faits à la charge de Picquart et de Leblois résultaient des témoignages formels de deux personnages considérables et au-dessus de tout soupçon, Henry, chef du service des Renseignements, et le général Gonse[1]. C’était l’ordre d’incarcérer, et le jour même. Le juge s’inclina ; Brisson et Sarrien ne furent même pas consultés, ne s’en formalisèrent point, quand ils furent avertis après coup, et s’empressèrent d’approuver.

Picquart, après avoir pris congé de ses amis, se rendit, dans l’après-midi, au Palais de Justice où Fabre, qui avait déjà procédé à un interrogatoire sommaire de Leblois, lui donna communication de la plainte de Cavaignac. Il répondit qu’il était « complètement innocent). Sur quoi Hamard, qui avait arrêté la veille Esterhazy, écroua Picquart dans la même prison[2].

  1. Instr. Fabre, 4, Plainte-annexe : « Paris, le 12 juillet 1898. » — Brisson écrira : « Cette pièce ne contenait rien de nouveau ; on avait dû dire au parquet qu’il fallait une arrestation immédiate dans l’intérêt de la vindicte publique. » (Siècle du 27 juillet 1903). Ailleurs : « Je ne suis pour rien dans cette arrestation… Je n’ai pas été averti… Si j’avais été consulté, j’aurais refusé d’intervenir pour ou contre. » — Le 12 janvier 1899, Cavaignac dit à la Chambre : « Quand j’ai fait arrêter… », puis, se reprenant : « Quand M. Brisson a fait arrêter M. Picquart… » « Je ne l’ai pas contredit, observe Brisson ; le président du Conseil est, en vertu de la solidarité ministérielle et à raison de ses fonctions, responsable de tout ce que font ses collègues. »
  2. Instr. Fabre, 6 et suiv. J’avais déjeuné avec Picquart chez Trarieux ; il était très calme, bien que s’attendant au pire.