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LE DESSAISISSEMENT


être descendu à ces explications, je demande si l’œuvre de justice peut s’accomplir dans une atmosphère d’espionnage et de délation. » Et il ne s’irrita pas moins contre Mazeau et Lebret : « Ces gens-là » (lors de l’interpellation) « me sacrifieront et inviteront la Chambre à douter de ma parole[1]. » Il adressa donc au premier Président une nouvelle lettre où il donnait le démenti aux deux magistrats et à Herqué lui-même, affirmait « qu’il faisait très clair dans les cabinets de la Cour et que Bard avait très bien reconnu Picquart », et se livrait à toutes sortes de divagations : « Lœw devrait s’incliner devant les colères légitimes de toute la magistrature. Qu’il parcoure les galeries du Palais : il y rencontrera partout la douleur et l’indignation… Des « misères » ? Une « délation inqualifiable » ! — Celaient les mots que Cuignet avait lus sur la minute de Lœw. — La notion du bien et du mal est-elle donc perdue ?… Le chef du plus grand tribunal qui existe demande des rafraîchissements pour Picquart aux frais de la Cour… Nous voilà maintenant discrédités dans l’opinion ! Nul n’élevant la voix, je me suis senti désigné pour jeter le cri d’alarme. » Enfin, il réclamait une enquête supplémentaire où il ferait connaître, « malgré, leur caractère confidentiel », d’autres faits « graves » à la charge de Lœw : « J’y établirai que, par l’effet de la conduite de quelques magistrats, la Cour de cassation est montrée au doigt ; que nous sommes obligés, dans le monde, de dire que nous appartenons aux chambres civiles…[2] ».

Pour un garde des Sceaux qui aurait eu le respect de ses fonctions, il n’y avait plus qu’à déférer Quesnay au conseil supérieur de la magistrature, ou à faire cher-

  1. Quesnay, loc. cit., 255.
  2. Lettre du 6 janvier 1899.