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LE DESSAISISSEMENT


On a vu que ni Dupuy ni Lebret, dans l’interpellation sur le dossier secret, n’avaient relevé les injures de Lasies contre la Cour de cassation. Quelques députés firent mine de s’en fâcher. Le 24 décembre, à l’occasion d’une motion de Sembat[1], Lebret s’exécuta : « Je ne puis m’empêcher de déclarer que j’admire avec quelle sérénité, avec quel calme, en dépit des injures qui lui sont adressées tous les jours et des accusations injustifiées, la Chambre criminelle continue dans le recueillement l’exercice de ses hautes fonctions. Elle montre ainsi qu’elle a, au plus haut degré, le sentiment des grands devoirs qui lui incombent… »

La riposte ne se fit pas attendre. Dès le lendemain, deux journaux racontèrent que Picquart, quand il vint déposer, avait coutume d’attendre dans le cabinet de Quesnay, que celui-ci reprit, un certain jour, possession de la pièce et que, brusquement, la porte s’ouvrit : « Mon cher Picquart, donnez-moi donc votre avis sur la déposition de… » Mais Bard n’acheva pas sa phrase ; pâle et presque défaillant, il était face à face avec M. de Beaurepaire[2]. »

Dard signala ce « grotesque récit » à Quesnay : « Il est implicitement très injurieux à votre égard… Vous ferez ce que vous jugerez à propos[3]. » Quesnay, après

    Teste ne nomma pas son interlocuteur, un membre éminent de la Chambre civile, mais chacun de ces propos le désignait. J’attribuai formellement, dans une lettre ouverte à Mazeau (Siècle du 15 janvier 1899), ces propos à Quesnay de Beaurepaire ; ni Teste ni Quesnay ne démentirent.

  1. Il proposait de supprimer les articles du code d’instruction criminelle qui décident que les ministres ne déposeront aux procès criminels qu’avec l’autorisation du Conseil ; « dans les enquêtes, ils se rendront eux-mêmes devant les juges au lieu que les juges aillent chez eux. »
  2. Éclair et Patrie du 20 décembre 1898.
  3. Enq. Mazeau, 81, lettre de Bard, du 25.