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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


une éloquence incisive, quelques amitiés bien choisies, lui permirent de cheminer. Thévenet le trouva avocat général à Paris quand Bouchez, le procureur général, refusa de requérir contre Boulanger. Quesnay, sans une minute d’hésitation, accepta. On a dit que je lui fis son réquisitoire[1]. J’avais seulement préparé un projet, à la demande du Conseil des ministres. Son complot contre la République, avec les subsides du comte de Paris, c’était le crime que j’imputais à Boulanger. Quesnay, avec le goût des commérages et des rapports policiers, chercha surtout à le salir. Les amis de Boulanger n’en furent que plus enragés contre lui. Il leur tint tête avec une belle vaillance qui lui valut la reconnaissance passagère des républicains. Ce triomphe et ces injures lui portèrent à la tête. Un esprit de domination qu’on ne pouvait supporter, une intempérance extrême de langage, un mécontentement chronique, le besoin maladif que l’opinion s’occupât de lui, fût-ce pour l’insulter, lui valurent de nouvelles inimitiés. Glorieux jusqu’à en perdre la raison, il voulut provoquer en duel son propre frère, ancien officier et professeur à l’École polytechnique, qui revendiquait sa place à l’inauguration d’une statue de leur aïeul, alors qu’ils étaient brouillés, le général Billot et moi, nous eûmes beaucoup de peine à empêcher cette folie[2]. Il

  1. Cent fois, je démentis la légende ; ce « chiendent de l’histoire » repoussait toujours. Quesnay attendit ces incidents pour démentir à son tour. (Gaulois du 10 janvier 1899.) — Thévenet et Constans me communiquèrent leurs principaux dossiers ; je les dépouillai au ministère de la Justice, avec l’aide d’un jeune attaché, Grosjean.
  2. Il m’avait envoyé, en me priant de l’insérer dans la République Française, un article injurieux contre son frère ; comme j’avais refusé de l’insérer, il insista ; « J’entends que, si, par impossible, ce Monsieur vous demande quelque explication sur l’article, vous répondiez nettement que vous l’avez fait paraître