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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


étranglé[1], reconnut qu’il n’était pas chez lui, mais chez sa maîtresse. Il était devenu livide et, d’abord, s’effondra, dans l’attitude, que Bertulus et les agents connaissaient bien, du malfaiteur vaincu. Il respirait avec bruit, tortillait son épaisse moustache, tordait ses mains. Un peu plus tard, il revint de son accablement et, jetant autour de lui des regards furieux, « d’une hyène acculée », m’a dit un témoin, il essaya de fanfaronner et menaça : « Je parlerai, je dirai ce que j’ai caché jusqu’à ce jour[2]. » — « Cessez cette comédie, lui intima Bertulus, vous êtes un homme démasqué. »

Selon Esterhazy, le juge aurait cherché à lui faire peur ou à l’exciter à d’immédiates révélations en disant que l’arrestation avait été décidée par le Gouvernement[3]. Le substitut observa à mi-voix, à Bertulus, qu’il prenait une lourde responsabilité ; Bertulus reprit qu’il était décidé à faire son devoir. Esterhazy surprit le dialogue ; il se loue fort de ce substitut, qui fut « d’une réelle correction[4] ».

La perquisition dura jusqu’à 11 heures du soir. Esterhazy et sa maîtresse affectaient maintenant de plaisanter, elle à propos de son chien qui resterait seul au logis, lui de sa pipe qu’il tenait à emporter en prison. Personne ne dîna. Vers minuit, les agents écrouèrent la fille à Saint-Lazare et l’homme à la Santé. Bertulus, après avoir fait avertir le préfet de police, se rendit encore à l’ancien domicile conjugal d’Esterhazy, où il n’y avait plus un bout de papier.

Faure donnait ce soir-là une grande fête militaire à

  1. Matin du 13 juillet 1998.
  2. Récit de l’Écho de Paris du 14.
  3. Dessous de l’Affaire, 8.
  4. « Je dois rendre hommage à l’attitude de ce substitut… » (Dessous, 11.) — Il s’appelait Thomas.