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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Chambre criminelle », et Freycinet, de sa propre main, consigna leur résolution sur un mémento qu’il remit à Cuignet[1].

Du Paty ignora tout du rapport de Cuignet. Il s’était incliné, sans mot dire, sous la mise en non-activité dont Zurlinden l’avait frappé, se disait, selon ses interlocuteurs, hostile ou favorable à la Revision[2] et ne se ne méfiait pas de Cuignet, qu’il connaissait à peine[3].

On conçoit l’immense surcroît d’orgueil qui vint à Cuignet de cette nouvelle victoire. Trois jours après, quand il déposa, pour la première fois, devant la Chambre criminelle, il lui parla comme le maître du procès, en oracle infaillible et qui n’acceptait pas de discussion sur une découverte qui avait fait la conviction de Zurlinden, de Chanoine, de Freycinet et de tous les ministres, ainsi que du Président de la République.

Il récita, résuma son rapport[4]. D’abord, la plus déconcertante des antinomies : 1° « Henry n’avait pas fabriqué son faux, comme on l’avait dit, pour forcer la main à Billot, mais parce que, mis au courant des manœuvres de Picquart, il avait eu recours à Boisdeffre qui lui avait dit assez brutalement qu’il se désintéressait de la question » ; dès lors, « il n’y avait pas d’autre moyen de détromper Gonse, honnête, loyal, mais hésitant et soumis aux objurgations » du chef du service des Renseignements « qui le dominait » ; 2° Henry, au surplus, n’était pas l’auteur du faux, « parce qu’il n’avait jamais commis jusqu’alors rien de délictueux ou malhonnête » et qu’il était « rude, grossier, sans culture, incapable (intellectuellement) de concevoir » une pareille pièce ; c’était Du Paty, « pour répondre au petit bleu » ; Henry, « poussé par Du Paty », s’était borné « à présenter le document au général Gonse ». « Lorsque Cavaignac a posé à Henry la question : « Avez-vous agi seul ? », il a saisi une ; hésitation dans son regard. « Henry n’a répondu qu’en-

  1. Rennes, I, 509 et 510, Cuignet.
  2. De Quimperlé, le 19 octobre 1898, à son frère : « Je pense que cela finira par la Revision à laquelle, personnellement, je trouverai bien des avantages. » — Il fit dire à Mathieu Dreyfus de le citer comme témoin devant la Chambre criminelle. Mathieu se méfia, répondit à l’intermédiaire que Du Paty n’avait qu’à s’adresser directement au procureur général.
  3. « Je lui ai bien parlé trois fois dans ma vie. » (Lettre du 8 mai 1899, à Auguste du Paty). — Cette lettre, ainsi que la précédente, fait partie de ma collection d’autographes.
  4. Ibid.