Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
43
CAVAIGNAC MINISTRE

Bertulus, loin de se laisser intimider, se piqua. Pendant que Fabre et Feuilloley allaient en toute hâte à leur besogne et que, déjà, à travers Paris, les camelots annonçaient les poursuites contre Picquart et Leblois, il prit des mesures, avec beaucoup de soin, pour arrêter, le soir même, Esterhazy et sa maîtresse. Il se rendit à 6 heures, qui est encore une heure légale en été, chez la fille Pays, en compagnie d’un substitut, de son greffier, d’un commissaire de police et de plusieurs agents, et se mit sans retard au travail, c’est-à-dire à fouiller dans tous les meubles où il trouva une quantité considérable de papiers et de lettres qui furent placés sous scellés. Il découvrit notamment, dans une potiche japonaise, sur la cheminée du salon, un lot de petits papiers déchirés qu’il essaya de reconstituer et dont la gravité lui apparut aussitôt : c’était le brouillon de la lettre d’Esterhazy, après son acquittement, à un général[1].

Marguerite, effrayée à l’idée d’être envoyée à Saint-Lazare, commençait à jaser quand le substitut lui dit qu’elle avait le droit de se taire. Elle reprit alors son sang-froid, dont elle ne se départit qu’une fois, mais sans que Bertulus, par malheur, s’en aperçût ; il avait mis la main sur le képi d’Esterhazy et en retournait la coiffe : « s’il en avait soulevé le cartonnage », il y eût trouvé le document que le traître appelait « la garde impériale ». Marguerite, qui connaissait la cachette, faillit se trouver mal[2].

Vers 8 heures arriva Esterhazy, qui venait chercher Marguerite pour dîner. Aussitôt Bertulus lui signifia qu’il l’arrêtait pour faux et usage de faux, et le fit fouiller à fond[3]. Esterhazy, la gorge serrée, comme

  1. Cass., I, 223 ; II, 234, Bertulus (Scellé 1, cote 2).
  2. Ibid., I, 229, Bertulus, récit de la femme Barbier à Bertulus.
  3. Ibid., I, 223, Bertulus.