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LE DESSAISISSEMENT

Les adversaires irréductibles de la Revision auraient préparé le coup qu’ils n’auraient pas riposté avec plus d’ensemble et par des interjections plus topiques. Ramel : « On ne revise pas quand on ne peut pas communiquer les pièces. » Et, de nouveau, Firmin Faure : « Nous avons l’aveu du ministre… La Chambre vient d’acquérir la preuve de la culpabilité du traître. » Montfort : « Si la pièce décisive n’est pas communiquée, comment la Cour pourra-t-elle juger ? »

Freycinet, qui ne capitulait jamais qu’à la seconde sommation : « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, je ne livrerai les pièces que dans des conditions où je serai sûr qu’elles ne seront pas livrées à la publicité. »

Sur quoi, la droite enfin l’applaudit et Lasies retira son interpellation, la jugeant inutile, puisqu’il avait arraché à Freycinet la parole équivoque qui permettrait à Mercier, même quand les juges auraient prononcé, de contester leur verdict. D’ailleurs, il dit pourquoi la réponse de Freycinet lui donnait satisfaction, et nullement par imprudence ou cynisme, mais pour prendre date : « Si, dans ce dossier, il y a la preuve évidente et palpable de la culpabilité de Dreyfus, le ministre a raison de ne pas vouloir la communiquer. Mais, ainsi engagée, la Revision n’est qu’une comédie ! Oui, c’est une comédie, je répète le mot. »

La vraie comédie, celle des amis de Mercier, était si manifeste que les socialistes eurent honte d’en paraître dupes ; Millerand, comme c’était son droit, reprit l’interpellation, et, sans aucune violence de langage, mais avec une extrême netteté, dénonça l’impudente manœuvre : « Quoi ! demain, il sera permis de dire que la Cour de cassation n’aura pas eu connaissance de toutes les pièces ! Ce n’est pas possible ! » Il invoqua non seulement l’intérêt de la justice, mais celui de la paix

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