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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Dupuy, Freycinet, Lebret, le laissèrent dire sans protester d’un seul mot.

Comme il s’indignait que les dépositions des témoins fussent communiquées à la défense, un socialiste (Breton) lui demanda s’il ne voulait pas que l’Affaire fût jugée au grand jour : « Si vous voulez la lumière, répliqua Lasies, je puis affirmer ici que la preuve de la culpabilité de Dreyfus sera apportée à cette tribune, en même temps que l’infamie des complicités auxquelles elle a donné lieu. » Mais la phrase lancée (l’allusion au bordereau annoté), il n’insista pas, célébra le vrai courant populaire qui se manifestait dans la souscription Henry et « somma » Freycinet de déclarer à la tribune : « Ou que ses cinq prédécesseurs avaient dit la vérité, ou qu’ils avaient menti. »

Freycinet n’eût pas été lui-même s’il n’avait pas cherché, dans cette occasion comme dans les autres, à contenter tout le monde. Il refusa de se prononcer sur Dreyfus, non pas qu’il blâmât ses prédécesseurs de l’avoir fait, mais la justice n’était pas alors saisie ; pour les pièces secrètes, il les communiquera, « mais dans la limite des intérêts de la défense nationale ». Et comme on criait à droite que « c’était vague », il précisa : « J’entends que je ne communiquerai pas un document dont la publication pourrait intéresser la sûreté de l’État. »

Aussitôt Firmin Faure, l’un des collègues de députation de Drumont et grand ami de Mercier : « Et si cette pièce est nécessaire pour prouver la culpabilité du traître ? »

Freycinet, qui n’avait qu’à répondre qu’une telle pièce n’existait pas, s’en garda, joua la surprise et offrit sa démission : « S’il y a, dans cette Chambre, une majorité qui pense que le ministre de la Guerre peut avoir une autre conduite, elle n’a qu’à le dire. »