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LE DESSAISISSEMENT


ments ? Mais les députés avaient pour habitude de ne pas souffrir qu’on citât les journaux à la tribune. Les républicains cachaient la peur qu’ils en avaient sous le dédain, pendant que les amis de Mercier, une fois en séance, traitaient de racontars négligeables les révélations qu’ils avaient publiées ou exploitées.

On le vit bien, quelques jours après[1], quand Paschal Grousset[2] interpella Freycinet « sur les menées antinationales de certains fonctionnaires et ci-devant fonctionnaires du département de la Guerre ». Son discours, excellent, d’une trame très serrée, modéré dans la forme, énumérait les principales communications que des officiers de l’État-Major avaient portées à la presse, quelques-unes exactes et d’une influence décisive, d’autres mensongères, mais qui avaient fait des milliers de dupes. À chacune de ces lectures, la droite hurla que ces extraits de journaux ne regardaient pas la Chambre, et Cassagnac, Millevoye, Cunéo, qui en étaient les auteurs ou les éditeurs, que c’étaient « des balayures de reportage ». Dès qu’il parla, citant textuellement Rochefort, des lettres de l’Empereur d’Allemagne, Déroulède et Lasies se dressèrent : « Voilà le parti de l’étranger qui s’affirme ! Les voilà, les menées internationales ! » Il semblait que ce fut lui, Grousset, qui eût imaginé l’intervention de l’empereur Guillaume. Il était patriotique d’empoisonner le peuple avec ces mensonges, mais il était interdit de les crever à la tribune[3].

  1. Séance du 12 décembre 1898.
  2. Il venait de publier, en fascicules illustrés, une Histoire de l’Affaire Dreyfus et de ses ressorts secrets. La forme est d’un roman-feuilleton, mais Grousset a très bien débroussaillé l’histoire et très bien vu l’action constante des Jésuites.
  3. Grousset explique, un peu plus tard, que l’Empereur allemand a traité ces faux « par le ridicule » ; sur quoi, Lasies : « Comment le savez-vous ? Avez-vous des confidents en Allemagne ? »