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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Mercier, atteint par la limite d’âge, quitta à cette époque son commandement et, sans prendre encore ouvertement la direction de la campagne contre Dreyfus, s’offrit comme un conseiller expérimenté et qu’on eût presque cru désintéressé, le Jomini de l’injustice. Au dîner d’adieu que lui donnèrent ses officiers, il développa, avec son audace accoutumée, la thèse de tous les despotismes, que le Droit, les règles du Droit, ne pèsent pas devant le sabre : « Au moment où l’armée turque forçait les remparts de Constantinople, les soi-disant intellectuels de la capitale du Bas-Empire y discutaient sur des arguties théologiques. Nous subissons, nous aussi, notre crise aiguë de byzantinisme intellectuel. » Il renouvela ensuite la vieille menace de guerre, mais sans consentir pourtant, comme Pellieux, à prophétiser la boucherie, ou, comme Drumont, la défaite : « Lorsque, dans un avenir prochain, la nécessité s’imposera d’avoir recours à nous, ceux-là même qui nous outragent seront heureux que nous ayons résisté à leur œuvre de destruction[1]. »

Mercier discerna très bien comment les choses allaient tourner : que Freycinet, quelque envie qu’il en eût, ne refuserait pas le dossier ; que tout le néant en apparaîtrait à la Chambre criminelle. Il fallait donc donner un nouveau change à l’opinion. Depuis quatre ans, on l’effrayait avec le terrible explosif qui, dès que des mains civiles y toucheraient, éclaterait. On va insinuer maintenant, puis affirmer que les pièces essentielles manquent au dossier officiel, dès lors sans valeur.

L’opinion de la Chambre, comme du public, était faite par les journaux : où trouver ailleurs des renseigne-

  1. 29 novembre 1898. — Le dîner lui fut offert par les généraux (de Luxer, André, Jollivet, Saint-Julien, etc.) et les colonels du 4e corps d’armée.