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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

II

La grande affaire, c’était le dossier secret, qui renfermait, selon les adversaires de la Revision, les preuves décisives, mais qu’on ne pouvait entr’ouvrir sans que la guerre en sortît. Ils l’avaient tant dit que presque tous les simples en étaient convaincus. Même des conseillers croyaient encore qu’ils trouveraient là l’explication du mystère. Cependant plusieurs des ministres de Brisson, depuis que Zurlinden leur avait montré les pièces secrètes, répétaient qu’elles étaient misérables ou fausses, parfaitement inoffensives, sinon pour leurs auteurs.

L’insuccès de Zurlinden, qui avait pensé convaincre Brisson avec ces rognures (où Dreyfus n’était pas nommé une seule fois), avait été une leçon pour Chanoine ; quand Sarrien, comme je l’ai raconté, lui demanda le dossier pour Manau, il refusa. Le mot d’ordre fut alors qu’il valait mieux le brûler que le livrer à des civils ; plutôt la Revision que de communiquer de telles pièces aux magistrats, c’est-à-dire à l’Allemagne ; ce serait « continuer la besogne de Dreyfus »[1].

La majorité de la Chambre criminelle ne se laissa pas intimider. Dès le 14 novembre, après l’audition des anciens ministres de la Guerre, elle réclama les pièces secrètes[2].

Freycinet fut fort embarrassé, D’une part, ayant regardé au dossier, il l’avait trouvé vide. D’autre part, Drumont, Rochefort et les militaires voulaient qu’il fût formidable, défendaient à Freycinet de le sortir de « l’armoire de fer »[3], et Lasies avait demandé à interpeller.

  1. Patrie du 30 octobre 1898, Intransigeant du 31 etc.
  2. Cass., I, 52 ; lettre de Lœw à Lebret du 15 novembre.
  3. Libre Parole du 17 novembre, Éclair, etc.