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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Boisdeffre déposa en termes fort mesurés, affirmatif sur Dreyfus, mais silencieux sur la communication des pièces secrètes, triste et las. Depuis la condamnation qu’il avait prononcée sur lui-même, quand la honte et le sang d’Henry l’éclaboussèrent[1], il s’était retiré dans le vieux manoir ancestral qui porte son nom[2], une petite gentilhommière aux confins de la Normandie et du Maine, où l’on monte par des chemins bordés de pommiers, maison très simple où naquirent et moururent tous les aînés de cette famille, dont Rœderer disait à Napoléon « qu’elle avait toujours servi », aux jours tristes et aux jours glorieux, avec ou contre la France, à Malplaquet, à Denain et à Quiberon. Là, entre sa femme encore étourdie de la chute vertigineuse et ses enfants, il cherchait à se faire oublier, à oublier. Il était loin d’être riche. Beaucoup d’argent lui avait coulé entre les mains, chef d’État-Major, ambassadeur extraordinaire ; tout avait fondu. Les paysans, le voyant passer, voûté, la moustache tombante, en tenue civile, disaient : « Il n’est plus général… »

Les conseillers ne lui posèrent aucune question pressante, soit à cause de sa gloire d’autrefois, qui le protégeait (les hautes missions qu’il avait remplies, l’amitié des Tzars), soit qu’ils eussent peur d’en faire un faux témoin ou d’en apprendre trop[3].

Gonse protesta que « l’antisémitisme n’avait tenu au-

    affaires, d’entrer en rapport avec Mathieu Dreyfus ; il fit offrir des documents, « des lettres de Boisdeffre pour faire le bordereau » Mathieu refusa de tomber au piège.

  1. Conversation d’un journaliste avec Lyonnel de Boisdeffre : « Mon frère porte le poids de toute cette honte. » (Petit Bleu du 20 mars 1899.)
  2. Armes des Boisdeffre : d’argent à trois gibecières de sable, boutonnées et houppées d’or.
  3. Cass., I, 259, Boisdeffre ; à Rennes : « J’ai été tenu et je me suis tenu à l’écart. » (I, 530.)