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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sés également à lui complaire, et tous les autres apeurés par les hurlements de la presse, sous l’œil satisfait de Félix Faure, qui se disait qu’à remplacer des ministres modérés par des radicaux, il n’avait point perdu au change.

Quelques heures plus tard, un député socialiste, Fournière, ayant demandé à interpeller le ministre de la Guerre sur la lettre de Picquart, la Chambre, à la veille de se séparer, ajourna le curieux après les vacances[1]. Cavaignac, d’un mot qui parut probant, cingla Picquart, « un individu qui traite de faux une pièce qu’il n’a jamais vue et qu’il a avoué n’avoir jamais vue[2] ».

Quand donc Bertulus, dans la journée, retourna chez Feuilloley, le procureur de la République lui remit son réquisitoire, refusa, malgré de nouvelles instances, d’y comprendre l’escroquerie, et l’invita, quand il irait perquisitionner chez Esterhazy et la fille Pays, à les laisser en liberté. Bertulus, qui était déjà décidé à les arrêter et qui était seul juge de le faire, se garda d’en discuter. Feuilloley était, d’ailleurs, très pressé. Il dit à Bertulus, avec l’arrière-pensée, peut-être, de lui donner à réfléchir, qu’une plainte en espionnage avait été portée par Cavaignac contre Picquart et qu’il allait, de ce pas, perquisitionner lui-même chez le colonel pendant que le juge opérerait chez le commandant. Cela mettrait de pair le justicier et le traître. Cette instruction eût dû revenir à Bertulus ; le procureur se fit un plaisir de lui dire qu’elle était confiée à l’un de ses collègues, Albert Fabre, qui était des amis personnels de Brisson[3].

  1. Séance du 12 juillet 1898. — L’ajournement fut voté par 492 voix contre 24.
  2. Journal officiel, p. 2067, col. 3. — Aux Annales Parlementaires, Cavaignac a corrigé : « d’un homme. » (p. 500, col 1.)
  3. Sarrien aurait dit à Drumont : « Soyez tranquille, c’est un honnête homme. » (Libre Parole du 14 septembre 1898).