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LA SOUSCRIPTION HENRY


lui ménager l’existence douce qu’elle avait si bien gagnée » ; ou qu’« un groupe d’officiers d’une place frontière attendit impatiemment l’ordre d’essayer les nouveaux explosifs sur les juifs »[1].

On m’engagea à poursuivre la Libre Parole ; je n’en voulus rien faire et continuai à vaquer fort tranquillement à mes occupations et à me promener dans Paris, où je fus quelquefois insulté, mais seulement par des gamins. Les passions d’autrefois, avant l’invention de la presse, éclataient en arquebusades ; elles se satisfont maintenant par des outrages, ce qui est encore une forme du progrès.

Beaucoup de républicains, même de revisionnistes de la première heure, furent stupéfaits, n’en crurent pas leurs yeux à voir se succéder les dix-huit listes rouges. Cette apologie d’un faussaire, ce flot de haine jésuitique, infecte et vile, une telle folie sanglante, ces vertus mortes ou qui le semblaient : la franchise, l’urbanité, la bonté, — tant de symptômes de décadence les affligeaient comme une honte pour la France et un recul de la civilisation. Nul avertissement ne fut plus salutaire. L’Affaire continuait sa grande œuvre d’enseignement, de réveil. On ne marchait plus dans la nuit. On savait maintenant où était l’ennemi. Il y avait, d’ailleurs, parmi ces souscripteurs, de braves gens, frappés d’une cécité momentanée, comme ce commandant de Bréon, dont la conscience, avant un an, s’élèvera au niveau des plus hautes. Mais rares étaient ceux qui avaient plus de pitié que de ressentiment contre des hommes assez malheureux pour se tromper ainsi.

  1. À deux reprises, 4e et 8e listes.