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LA SOUSCRIPTION HENRY


beaucoup plus, non pas en argent (car ils étaient pauvres et, par ce temps de méchanceté exaspérée, trouvaient péniblement du travail), mais en esprit. Ils répandirent leur âme autour d’eux. Il est exact que les juifs, jalousés pour leur or, furent souvent détestés pour leurs vices, l’âpreté au gain, la morgue, un désir trop vif de se pousser ; mais ils furent haïs aussi pour leur vertu, l’idéal de leurs penseurs qui est la justice[1], la Jérusalem terrestre, nullement les beaux mensonges de l’au-delà qu’exploitent les heureux du monde et les prêtres[2] — en opposition avec la Foi, qui se suffit à elle-même et qui est le principe chrétien.

Enfin, bien que dans les veines des juifs d’Europe coulât à peine une goutte du sang des sémites palestiniens et que la plupart de ces juifs descendissent de païens ou de barbares convertis[3], l’idée de race n’était pas étrangère à ces haines ; elle circulait obscurément dans le peuple et se réclamait d’une fausse science. Elle avait été adoptée notamment par un Jules Soury, haut mandarin de lettres, physiologiste, critique, historien, professeur dans une grande école de l’État et lauréat des académies, le même homme qui avait englobé autrefois dans une grossière accusation

  1. Lévitique, xix. 36 ; Isaïe, I ; Jérémie, xxii, 15. « Pour le juif, la piété, c’est la justice. » (Spinoza, Traité de théologie politique, xvii.) — Voir Renan, Discours et conférences, 360 et suiv.
  2. Spinoza, Lett., xxxiv : « Les hautes spéculations n’ont aucun rapport avec l’Écriture. »
  3. L’Église juive d’Alexandrie était recrutée en très grande partie dans la population égypto-hellénique ; Dion Cassius et Juvénal parlent de Romains, Grégoire de Tours de Gaulois (du temps de Gontran et de Chilpéric), convertis au judaïsme. « Les juiveries d’Allemagne et d’Angleterre sont venues de France… Les juifs russes sont des khazars convertis et qui n’ont probablement rien ou presque rien d’ethnographiquement juif. » (Renan, Discours, 360.)