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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Dreyfus condamné, déporté, les fuites ont continué[1]. Donc, quelqu’un renseignait Esterhazy. Il est impossible que l’espion n’ait été doublé d’un pourvoyeur : « Je signale son existence avec la certitude d’un astronome qui, apercevant certaines perturbations dans l’orbite d’une planète, en déduit l’existence d’un astre inconnu dont l’influence est la cause de ces irrégularités[2]. »

Après le rapport de Bard qui révélait la vieille camaraderie d’Esterhazy et d’Henry, je repris l’examen du problème.

Aucune des raisons qui ont été données du faux d’Henry « ne satisfait la raison », — la haine des juifs, la nécessité d’opposer à Picquart, au Syndicat, une preuve certaine (qu’on ne montre pas) ; la mauvaise honte de convenir d’une erreur ; — en effet, l’acquittement, la condamnation, la revision passaient par-dessus sa tête, s’il n’avait pas eu un intérêt personnel à sauver Esterhazy. Et il a commis bien d’autres crimes. Qu’est-ce donc qui liait ces deux hommes ? « Le bordereau fut étudié longtemps au bureau des Renseignements avant d’être envoyé à l’examen des autres bureaux. Henry n’a-t-il pas reconnu, dans l’écriture du bordereau, celle, qui lui était familière, d’Esterhazy[3] ? »

Henry, après la scène des aveux, a attesté à Roget, qui lui parlait d’autre chose, que le bordereau est venu

  1. Cela fut reconnu par Cuignet (Cass., I, 371) et par Picquart (Rennes, I, 415). Je savais par le comte Tornielli que « la récolte du colonel prussien ne fut jamais plus riche que pendant l’année qui suivit la condamnation de Dreyfus ».
  2. Siècle du 25 octobre. Ce premier article est intitulé : Les complices d’Esterhazy. (Tout le Crime, 1 à 9.)
  3. Déjà, dans l’article précédant, je m’étais arrêté devant cette question : « Henry, sans le coup de rasoir, aurait pu expliquer bien des choses. Il aurait pu dire si à l’époque du procès de Dreyfus, il y avait, à l’État-Major, des gens qui connaissaient déjà l’écriture d’Esterhazy. »