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CAVAIGNAC MINISTRE


de clairon, la petite armée revisionniste, électrisée, avait pris le pas accéléré, montait à l’assaut.

L’habileté eût été de dédaigner le défi de Picquart, comme Esterhazy avait conseillé d’ignorer celui de Zola à Félix Faure. Mais les furieuses passions n’écoutent qu’elles-mêmes ; elles réclamaient l’arrestation immédiate de Picquart[1] ; déjà Brisson, comme naguère Méline, s’apprêtait à leur céder, après avoir, lui aussi, commencé par opiner qu’« il n’y avait rien à répondre à un pareil factum[2] » ; enfin Cavaignac, avec sa résolution habituelle, avait vite pris son parti, le plus contradictoire du monde, mais qui était tout l’homme : 1o  porter plainte contre Picquart ; 2o  vérifier l’authenticité des pièces secrètes.

En effet, il était nécessaire, d’une part, que l’insolence de cet officier en réforme fût châtiée, et, d’autre part, d’en finir, une bonne fois, avec ces éternelles accusations de faux qui remplissaient la presse revisionniste[3]. Cette idée malfaisante avait tellement corrompu les meilleurs esprits que Du Paty lui-même suspectait la lettre de Panizzardi et n’avait pas craint d’en faire part au ministre[4].

  1. Éclair, Écho de Paris, etc., des 11 et 12 juillet 1898. « Cavaignac a parlé en homme de gouvernement : qu’il agisse. » (Judet.) « Si M. Picquart n’est pas arrêté, c’est l’annulation du discours de M. Cavaignac. » (Gaulois). « cette mesure nécessaire sera prise avant vingt-quatre heures. » (Vervoort).
  2. Agence Nationale du 9 juillet 1898. — Brisson : « Quel coup de foudre que cette lettre au milieu d’un ciel radieux ! Le 7 juillet, triomphe dans toute la ligne, affichage du discours de Cavaignac ; et le 9 un colonel… etc. » (Siècle du 13 juillet 1903.)
  3. Cass., I, 339, Cuignet : « Le ministre me prescrivit de lui présenter dans un rapport, et distinctement pour chacune des pièces, tous les arguments qui me paraîtraient militer en faveur des document ». »
  4. Cass., I, 455, Du Paty : Instr. Tavernier, 12 juillet 1899, Cavaignac.