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LA SOUSCRIPTION HENRY


nos adversaires, au principal, à Drumont qui, pour se faire élire à Alger, s’est engagé précisément à ne pas demander l’abrogation de la loi sur l’éducation laïque[1]. » À l’unanimité, cela fut repoussé. Acheter à ce prix la délivrance de l’innocent, vendre l’avenir pour un homme, c’eût été trop cher. Je vois encore la surprise attristée de Viollet, qui donna sa démission.

Même l’erreur initiale des républicains, politique et morale, leur fut dictée par la peur de l’Église militante : lui enlever, au moins partager avec elle, le bénéfice d’un patriotisme délirant et verbal. Le lendemain du jour où Mathieu Dreyfus dénonça Esterhazy, alors que j’étais seul des députés à marcher avec Scheurer, Bourgeois prononça un discours, dont cette Chambre de Méline vota l’affichage, sur les menées cléricales dans l’armée et l’audace croissante des congrégations[2]. Aux élections, et encore sous Brisson, les radicaux crurent habile de déblatérer avec les cléricaux contre la Revision. Enfin, ils s’étaient rendu compte de la misérable, de la honteuse duperie. Ce n’était point désarmer l’ennemi, mais la République. Ranc posa la question : « D’un côté l’esprit de l’Église, l’esprit des jésuites ; de l’autre, l’esprit de la Révolution. Il fallait que l’abcès crevât, dût-on en souffrir jusqu’à en crier[3]. »

La vraie, l’écrasante défaite pour les cléricaux, puisqu’ils avaient commis cette faute de faire de l’iniquité systématique leur affaire, c’eût été la réhabilitation solennelle de Dreyfus, le procès de ceux qui avaient engagé, faussé le procès. Ils auraient été frappés dans leurs œuvres vives, la bouche close pour longtemps par la sentence réparatrice. Quelques politiques d’Église

  1. Notes (inédites) de Viollet.
  2. 16 novembre 1897.
  3. Matin du 8 novembre 1898.