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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Maintenant, il tenait la victoire. Freycinet, mal à l’aise, fut très inférieur à lui-même : d’une part, « il faisait tous les jours la lumière en fournissant à la Cour de cassation les documents propres à éclairer ce ténébreux sujet » ; de l’autre, il fallait respecter l’indépendance de la justice militaire, « ne pas laisser l’opinion saisie pendant de longs mois d’un procès où était en jeu l’honneur d’un ancien colonel », et qui serait plaidé au grand jour. — Mais Dupuy parla au cœur même de la Chambre, à cette crainte des responsabilités que Millerand, croyant piquer d’honneur les républicains, avait imprudemment évoquées. À peine s’il crossa Barthou d’un mot, lui demandant ce qu’avait fait le ministère de 1896, pendant deux ans, « pour la vérité et pour la justice[1] » ; et, comme il savait Poincaré armé, il ne fit aucune allusion à son discours ; ce n’était pas pour ces histoires rétrospectives qu’il était à la tribune. Évidemment, le Gouvernement a le droit d’ajourner le procès de Picquart ; mais la Chambre, par un ordre formel, lui enjoindra-t-elle d’en user ? Et pour aviver la peur de la majorité, il étala bravement toute la sienne : « Cet ordre, nous, nous ne l’accepterions pas. » Puis, sur la plaie cuisante que fait l’aiguillon de la lâcheté, habilement, il mit du baume : « Ce serait l’engrenage dans l’intervention et dans l’arbitraire. » Aussi bien la Cour de cassation est souveraine ;[2] ; elle-même, si elle le veut, peut ajourner le procès, et par le procédé le plus simple (il voulait dire le plus bas) : la Cour a réclamé des pièces relatives à l’affaire Picquart ; le Gouvernement n’a pu fournir jusqu’à

  1. « Applaudissements répétés. »
  2. Il dit à la tribune que la Cour avait un pouvoir discrétionnaire ; puis, à la sténographie, supprima le mot.