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CHAMBRE CRIMINELLE


nuit. Picquart se nomma. Bard lui dit, en présence de ses deux gardiens (l’officier et l’inspecteur), que l’audience serait remise[1].

Il y avait, dans les arrière-salles de la Cour, des carafes d’eau, du sucre et du rhum. Ces breuvages étaient à la disposition des témoins. Picquart en but, ainsi que l’inspecteur de police ; Herqué prétexta une sortie pour ne pas « prendre sa part de cette gracieuseté[2] », mais continua à caresser son prisonnier. Celui-ci était fort grippé. Sa fatigue était visible, à parler pendant cinq ou six heures. Un conseiller (peut-être Bard) dit « qu’un grog chaud conviendrait mieux (qu’un froid) à l’état du témoin[3] ». À l’issue de l’audience, cette boisson chaude fut servie à Picquart qui remercia le garçon ». « C’est M. Bard que vous avez à remercier », répartit le capitaine, sachant ce que parler veut dire[4].

Herqué corsa ses rapports à Zurlinden : Picquart, en buvant son grog chaud, aurait murmuré : « Bard, je le porte dans mon cœur ; je suis son principal témoin[5]. » Il raconta également au greffier ce prétendu propos et que Bard avait appelé Picquart : « Mon cher ami[6]. »

Les officiers du Gouverneur, les domestiques du Palais, Ménard et l’agent Magnin colportèrent ces his-

  1. Enq. Mazeau, 37, Magnin ; 64, et 83, Bard ; rapport Herqué.
  2. Ibid., 37, Magnin.
  3. Ibid., 84, Bard : « J’ai fort bien pu dire, quoique je ne m’en souvienne pas… Mais, certainement, je n’ai pas, de mon initiative personnelle, donné d’ordre au garçon de service. »
  4. Ibid., 38, Magnin ; 70, Picquart.
  5. Rapport Herqué. — Picquart : « Je ne puis me souvenir des termes même que j’ai employés. Mais il me paraît impossible que j’aie dit que je portais dans mon cœur un magistrat que je n’avais jamais vu avant ma déposition devant la Cour. »
  6. Herqué, interrogé sur ce point, répondit que Bard appela Picquart : « Colonel. »